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La souveraineté numérique en Afrique: quels sont les enjeux?

La transformation numérique touche aujourd’hui tous les continents et secteurs, mais elle s’accompagne de nouveaux défis, notamment en matière de souveraineté. Pour les pays africains, cette question de souveraineté numérique est devenue cruciale, car elle détermine en grande partie leur indépendance face aux puissances étrangères et aux entreprises technologiques mondiales. Dans un contexte de mondialisation croissante et de dépendance aux technologies étrangères, l’Afrique doit aujourd’hui s’interroger sur les moyens de garantir une maîtrise et un contrôle de ses ressources numériques. Cet article vise à explorer ce que signifie la souveraineté numérique des États et à analyser les enjeux majeurs qu’elle implique pour l’Afrique autour de cinq axes fondamentaux:

  1. Sécurité des données
  2. Autonomie technologique et protection de l’économie et des emplois
  3. Respect de la vie privé et des droits des citoyens
  4. Contrôle des infrastructures critiques
  5. Souveraineté culturelle et informationnelle 

Qu’est-ce que la souveraineté numérique?

La souveraineté numérique désigne la capacité d’un État à contrôler et à protéger ses infrastructures numériques, ses données et ses ressources technologiques sans dépendre entièrement de pays ou d’entreprises étrangères. Cette souveraineté implique que chaque pays puisse décider de manière autonome des technologies qu’il utilise, des infrastructures qu’il déploie et des données qu’il collecte, traite et conserve. Dans le contexte africain, cela signifie que les États doivent pouvoir contrôler leurs infrastructures numériques et les utiliser pour favoriser leur propre développement économique, social et culturel, en limitant au maximum les influences externes qui pourraient compromettre leur sécurité et leur indépendance.

Les principaux enjeux de la souveraineté numérique

Sécurité des données :

Les données représentent aujourd’hui l’une des ressources les plus précieuses au monde, et la sécurité de celles-ci est donc essentielle. Avec la croissance exponentielle des données générées par les utilisateurs africains, le besoin de contrôler et de sécuriser ces informations est vital. Cependant, l’Afrique étant encore fortement dépendante des technologies étrangères, une grande partie de ces données est stockée et exploitée à l’étranger, notamment par les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) ou encore leurs concurrents asiatiques BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiami).

Les pays africains doivent assurer que leurs données stratégiques (données gouvernementales, personnelles, économiques, etc.) sont protégées contre les cyberattaques et les vols de données. Une réduction drastique de la dépendance aux technologies étrangères, souvent perçues comme des « boîtes noires », pour renforcer la sécurité des données et limiter l’exposition aux menaces étrangères est donc capital. Cela passe par la création de centres de données qui hébergeront les données des pays africains, en Afrique, et qui répondront minutieusement à leurs besoins et surtout à leurs réglementations.

Or, l’Afrique est à la traine à ce niveau. L’Association africaine des data centers (ADCA) estimait en début 2021 à seulement 80 le nombre de data centers hébergés sur le continent. Soit seulement 1,8% du nombre total mondial et dont plus de la moitié se trouve en Afrique du Sud. Ce dernier est d’ailleurs le seul des pays Africains où les 3 cadors du cloud (AWS, Azure et GCP) sont implantés. Pour rattraper son retard, l’Afrique devrait avoir pas moins de 700 data centers (toujours selon l’ADCA). Le défi est de taille mais reste absolument primordial.

Autonomie technologique et protection de l'économie et des emplois :

La dépendance envers des technologies étrangères pour les infrastructures critiques et les solutions de gestion de l’information expose les pays africains à des vulnérabilités. Un pays qui dépend fortement de technologies étrangères peut perdre sa capacité de réaction en cas de crise (guerre économique, sanctions, etc.). La souveraineté numérique implique le développement et la promotion de solutions locales ou nationales, notamment dans les domaines du cloud computing, de l’intelligence artificielle, des systèmes d’exploitation, et de l’infrastructure des réseaux.

La souveraineté numérique joue un rôle central dans la protection de l’économie et des emplois, en offrant des opportunités pour développer des solutions locales qui favorisent la création de richesse et d’emplois sur le continent. Un aspect particulièrement pertinent en Afrique est le déficit de bancarisation (entre 5 et 20% selon les régions), avec une grande partie de la population n’ayant pas accès aux services bancaires traditionnels. Ce manque a été en grande partie comblé par le mobile money, une solution innovante et largement adoptée qui permet à des millions d’Africains d’accéder à des services financiers de base via leur téléphone mobile. C’est un marché qui accueille de plus en plus d’acteurs mondiaux et locaux, tels qu’Orange, Wave, MTN, Nita, Al-Izza, Western Union ou encore Ria, chacun proposant des portefeuilles mobiles et des services financiers adaptés aux besoins des africains.

Avec 36,7 milliards de transactions et une valeur totale de 701,4 milliards de dollars en 2021, soit plus des deux tiers du volume mondial, l’Afrique est aujourd’hui leader mondial du mobile money. Selon le rapport « State of the Industry Report on Mobile Money 2022 » de la GSMA, le continent héberge plus de la moitié des comptes mobile money actifs dans le monde, avec 184 millions d’abonnés recensés en 2021. Cette adoption massive du mobile money ne répond pas seulement à un besoin d’inclusion financière : elle est aussi devenue un pilier de l’économie numérique africaine, créant de nouvelles opportunités d’emplois, notamment via les réseaux de distribution d’agents locaux. C’est d’ailleurs ces solutions qui ont permis à deux nombreux pays africains (de l’Ouest notamment) de faire face à des sanctions inhumaines qui ont pu être imposées aux populations suite à des putschs militaires.

Respect de la vie privée et des droits des citoyens :

La question de la vie privée et des droits des citoyens est un enjeu fondamental de la souveraineté numérique. Avoir le contrôle de ses données personnelles, permet de garantir que ces données soient traitées conformément aux réglementations locales et aux droits des citoyens, comme le droit à la vie privée. Cela implique notamment de contrôler les conditions d’accès des entreprises étrangères aux données des citoyens et d’adopter des régulations fortes qui protègent les utilisateurs africains.

En réponse à cet enjeu, plusieurs initiatives ont déjà été mises en place. C’est le cas de l’Acte additionnel de la CEDEAO (A/SA.1/01/10) sur la protection des données personnelles, adopté en 2010, qui vise à harmoniser les législations des États membres pour garantir la confidentialité et la sécurité des données des citoyens. Il prévoit des droits pour les individus, tels que l’accès, la rectification et l’opposition au traitement de leurs données, tout en imposant aux entités publiques et privées des obligations de transparence, de sécurité et de limitation des finalités et de la durée de conservation des données. Les transferts de données hors de l’espace CEDEAO sont soumis à des règles strictes, nécessitant des garanties pour assurer leur protection. Chaque État membre doit établir une autorité indépendante pour surveiller la conformité, et des sanctions sont prévues en cas de non-respect, renforçant ainsi un environnement de confiance pour le développement numérique régional. Cependant, cela reste uniquement à titre théorique, dans la pratique, la mise en place demeure plus complexe.

Contrôle des infrastructures critiques :

Le contrôle des infrastructures critiques est un enjeu central pour la souveraineté numérique, car il assure la maîtrise des ressources stratégiques d’un pays, notamment dans les secteurs de l’énergie, des télécommunications, de la santé et de la finance. En effet, ces infrastructures sont les piliers des économies modernes et représentent des cibles potentielles pour des cyberattaques ou des ingérences étrangères, qui pourraient mettre en péril la sécurité nationale. L’enjeu est donc de protéger les systèmes essentiels contre des vulnérabilités qui pourraient être exploitées pour déstabiliser l’économie, altérer la confidentialité des données sensibles, ou encore compromettre l’intégrité des infrastructures critiques. Pour ce faire, des politiques de cybersécurité renforcées, des régulations spécifiques et un contrôle des investissements étrangers dans ces secteurs stratégiques sont devenus essentiels.

Souveraineté culturelle et informationnelle:

Le numérique joue un rôle essentiel dans la diffusion culturelle et l’accès à l’information. La domination des plateformes étrangères (comme les réseaux sociaux et les moteurs de recherche) peut influencer la manière dont l’information est diffusée et contrôlée. Les médias et réseaux sociaux, souvent contrôlés par des entreprises basées en dehors de l’Afrique, diffusent une grande partie des contenus consommés par les utilisateurs africains. Ce phénomène expose les populations locales à des valeurs, des modes de vie et des perspectives parfois en décalage avec leurs propres traditions et coutumes.

De plus, ces plateformes peuvent être utilisées pour influencer les comportements et les opinions des utilisateurs. Les algorithmes des réseaux sociaux sont souvent conçus pour maximiser l’engagement des utilisateurs en leur proposant des contenus polarisants ou émotionnellement marquants. Cette dynamique peut influencer les humeurs et les orientations des consommateurs, exposant ces derniers à des messages qui vont parfois à l’encontre des normes locales. La souveraineté numérique passe donc par la capacité des Etats de proposer et de réguler des plateformes alternatives afin de garantir une information équilibrée et de promouvoir la diversité culturelle.

Conclusion

La souveraineté numérique est aujourd’hui un enjeu stratégique pour l’Afrique. Elle représente non seulement une opportunité de renforcer l’indépendance économique et politique des pays africains, mais également de protéger leurs citoyens et leur culture face à une mondialisation numérique souvent dominée par les grandes puissances technologiques. En investissant dans leurs propres ressources numériques et en adoptant des mesures adaptées, les pays africains peuvent non seulement affirmer leur souveraineté numérique mais également construire un avenir numérique plus inclusif et respectueux des valeurs locales.

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